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Temps de trajet

Temps de trajet dépassant le temps normal de trajet domicile-lieu de travail habituel : la contrepartie fixée ne doit pas être dérisoire

Le salarié dont le temps de trajet pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail dépasse le temps normal de trajet entre son domicile et le lieu habituel de travail doit bénéficier d’une contrepartie. Il appartient au juge de contrôler que le montant de la contrepartie financière unilatéralement fixée par l’employeur est suffisant.

Le salarié dont le temps pour se rendre sur le lieu de travail dépasse le temps de trajet domicile-travail habituel doit bénéficier d’une contrepartie

Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas du temps de travail effectif. Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il doit faire l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière (c. trav. art. L. 3121-4).

Pour la Cour de cassation, le temps consacré par les salariés itinérants à leurs déplacements entre plusieurs sites d’intervention d’une même journée de travail est rémunéré comme du temps de travail effectif. En revanche, le temps de déplacement quotidien entre le domicile et les sites du premier et dernier client n'est pas payé en temps de travail effectif, mais doit faire l'objet d'une contrepartie quand il dépasse un trajet normal. Il n'est pas non plus pris en compte dans le calcul des durées quotidiennes et hebdomadaires maximales (cass. soc. 30 mai 2018, n° 16-20634 FPPB, BC V n° 97).

À noter : s’agissant des salariés itinérants, la CJUE a qualifié de « temps de travail », au regard de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, le temps de déplacement que les salariés sans lieu de travail fixe ou habituel consacraient à leurs déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier client (désignés par leur employeur). Pour elle, ces temps sont à prendre en compte pour déterminer les périodes minimales de repos et la durée maximale de travail. Sur ce point, la Cour de cassation ne suit pas la CJUE (cass. soc. 30 mai 2018, n° 16-20634, précité). En revanche, selon la CJUE et la Cour de cassation, cette directive ne s’applique pas à la rémunération du temps de travail, cette question relevant des dispositions du droit national (CJUE 10 septembre 2015, n° C-266/14, § 48 ; cass. soc. 30 mai 2018, n° 16-20634, précité).

Pour que la contrepartie soit due, le salarié doit prouver l’existence de ce temps de trajet inhabituel (cass. soc. 15 mai 2013, n° 11-28749, BC V n° 124).

En l’absence d’accord collectif ou d’engagement unilatéral de l’employeur, il appartient au juge de fixer le montant de la contrepartie due (cass. soc. 14 novembre 2012, n° 11-18571, BC V n° 295).

Mais le juge peut-il contrôler le caractère suffisant de la contrepartie financière fixée par l’employeur ? Telle était la question posée à la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 30 mars 2022.

Pour l’employeur, les juges devaient seulement vérifier l’existence de la contrepartie

Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, un syndicat a saisi le tribunal de grande instance (désormais tribunal judiciaire) de diverses demandes relatives, notamment, aux frais de déplacement des salariés itinérants travaillant pour une unité économique et sociale (UES) exerçant des activités de prestations de services en matière informatique et relevant de la convention collective Syntec.

La cour d’appel a d’abord jugé que les contreparties au temps de déplacement professionnel dépassant le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail des salariés, fixées unilatéralement par les sociétés employeurs constituant l’UES, méconnaissaient en raison de leur caractère dérisoire les dispositions de l'article L. 3121-4 du code du travail. Elle leur a ensuite ordonné de mettre en place un système de contreparties déterminées, région par région, en fonction du temps normal de trajet entre le domicile du salarié et le lieu habituel de travail. Enfin, elle les a condamnées in solidum à payer au syndicat 5 000 euros de dommages-intérêts pour violation de l'article L. 3121-4 du code du travail.

En effet, pour la cour d’appel, le lieu habituel de travail d'un salarié itinérant doit être défini comme le lieu où se situe son agence de rattachement si tant est que celle-ci se situe à une distance raisonnable de son domicile, de manière que le temps de trajet ainsi défini soit équivalent au temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail d'un salarié dans la région considérée. Or, selon la cour, les compensations accordées par l’employeur étaient « déconnectées de ces temps normaux de trajet », notamment en raison d’une « franchise », c'est-à-dire d’un temps de déplacement excédentaire non indemnisé, de près de 2 heures.

Les sociétés employeurs se sont alors pourvues en cassation.

Selon elles, s'il appartient au juge de fixer la contrepartie prévue par les dispositions de l'article L. 3121-4, alinéa 2, du code du travail dans le cas où elle n'a pas été déterminée, il ne lui appartient pas, lorsqu'une telle contrepartie a été déterminée par la voie prévue par la loi, d'en apprécier le caractère suffisant.

Par ailleurs, les sociétés considéraient que lorsque le salarié est itinérant, c'est-à-dire qu’il n'a pas de lieu de travail habituel et effectue des déplacements quotidiens entre son domicile et les locaux du client de son employeur, où il se rend directement depuis son domicile sans passer par son agence de rattachement, le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, au sens des dispositions de l'article L. 3121-4 du code du travail, était le temps normal de trajet des salariés itinérants de la région considérée entre leur domicile et les locaux des clients de leurs employeurs, et non le temps normal de trajet de tous les salariés de la région considérée entre leur domicile et leur lieu habituel de travail.

Pour la Cour de cassation, il appartient au juge du fond d’apprécier le caractère suffisant de la contrepartie fixée

La Cour de cassation rejette les arguments des employeurs.

Pour elle, c’est à bon droit que la cour d'appel a décidé que la circonstance que certains salariés des sociétés de l'UES ne travaillent pas habituellement au sein de leur agence de rattachement ne dispensait pas leur employeur de respecter à leur égard les dispositions de l'article L. 3121-4 du code du travail.

Il lui revenait donc ensuite, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, de vérifier si le montant de la contrepartie allouée aux salariés répondait à ces exigences légales et s’il n'était pas dérisoire.

La cour d’appel, appréciant dans cette affaire la situation d'un salarié itinérant, a donc pu :

-d’abord, définir le lieu habituel de travail comme le lieu où se situait son agence de rattachement, si tant est que celle-ci se situe à une distance raisonnable de son domicile, de manière que le temps de trajet ainsi déterminé soit équivalent au temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail d'un salarié dans la région considérée ;

-ensuite, estimer que les compensations accordées par l’employeur étaient « déconnectées de ces temps normaux de trajet » et que les contreparties financières au temps de déplacement professionnel dépassant le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail fixées unilatéralement par les sociétés employeurs méconnaissaient, en raison de leur caractère dérisoire, les dispositions de l'article L. 3121-4 du code du travail ;

-et enfin, ordonner à ces sociétés de mettre en place un système de contreparties déterminées, région par région, en fonction du temps normal de trajet entre le domicile du salarié et le lieu habituel de travail qu'elle avait défini.

Cass. soc. 30 mars 2022, n° 20-17230 FSB, sur le 2e moyen